Tibère

Dans quelques mois, l'Inde fêtera la fête du Tihar :
ce jour-là les chiens des riches comme des pauvres,
les vaches des intouchables comme des castes supérieures,
seront parées d'un collier de fleurs.

La journée du Tihar est riche d'odeurs et d'offrandes et de couleurs.

Ce jour-là je passerai autour de mon cou autant de colliers de fleurs
que d'animaux ont traversé ma vie.

Un pour le chien de mon enfance, un pour les chiens de mon adolescence,
un pour les chiens de mon âge adulte,
un pour le chat de ma vie.

Il ne fut mon chat que parce qu'il le désirait.
Il traversait l'appartement sans bruit et je suivais l'onde de son passage pour le retrouver.
Ce chat bagarreur et chasseur m'offrait des souris juste occises,
et j'appris à les recevoir avec le bonheur du chat.
Il s'échappait les nuits d'été.
Il dormait sur moi les nuits d'hiver, posait sa tête contre ma joue.
J'entendais dans mon sommeil le ronronnement du chat :
il me parlait, il discourait , il me racontait sa journée de traque dans les bois,
les oiseaux échappés de ces griffes,
les proies imaginaires qu'il se plaisait à faire jaillir entre ses pattes agiles.

Mon chat est ailleurs, libre dans des bois inconnus mais si vous le croisez, vous le reconnaîtrez :
Il a la démarche d'un sultan, les yeux aigues-marines, la hardiesse d'un tigre, la sagesse d'un siamois.
Il porte sur le nez la cicatrice des griffes reçues la nuit.
S'il vous aime, vous pourrez caresser le velours de ses pattes.
Mais n'y comptez pas. Il est libre.

Dans quelques mois, je porterai autour de mon cou un collier de fleurs pour la fête du Tihar.
Et pour mon chat.

Page mise en ligne le 10 octobre 2002

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